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Pour franchir ce petit espace je me couche plusieurs fois afin d'éviter les balles et les schrapnells. Dans cet élément je ne reste pas longtemps et encore par
bonds je me poste, avec la Cº, dans la tranchée de 2ème ligne où nous sommes en réserve. Pas de boyaux de communication. Arrivé dans la tranchée, je m'istalle tant bien que mal. Les obus pleuvent
autour de nous, (la plus grande partie n'éclatent pas). Aussi, avec un de mes bons copains, nous nous plions en deux, l'un en face de l'autre, tout en faisant croiser nos deux sacsde façon à nous
préserver le buste des éclats. Je m'endors même dans cette position.
La nuit, recevons l'ordre de céder notre place aux coloniaux et de venir nous installer en arrière de la ferme Zimermann. Aussi c'est avec plaisir que je redescends la
colline pour m'installer dans des oliviers, tout contre le flanc de la colline. Les repas sont maigres, du singe et des biscuits. Dans le courant de la journée, la Compagnie a près de 10 blessé.
La nuit nous nous abritons dans un petit ravineau, les balles nous passent au-dessus. Nulle place où l'on soit à peu près abrité.
On nous tire des buissons environnants et où le lendemain nous trouvons quelques turcs embusqués. Le 8, nous montons en hâte de petits abris par demi-escouade. Pour avoir
du bois nous abattons des arbres. Je loge avec mon caporal (note: Westein), deux Bel-Abésiens et un Parisien (note: les frères Ségura et Lagrange). Du reste nous nous entendons
très bien nous cinq.
Toute la journée, nos batteries et nos vaisseaux ne cessent d'arroser les lignes turques et la position d'Achibaba. Je m'en réjouis car je pense que les Turcs vont mettre
les calles. Mais tout le contraire se produit. Les blessés affluent et il y a affolement. Notre capitaine (Varnier) s'arme d'un Lebel et nous fait prendre nos mousquetons. Sitôt
rassemblés, il prend la tête et nous voilà partis, au pas de charge, sur les premières lignes. Les obus tombent de partout, les balles sifflent, et on avance tout de même en hurlant comme des
sauvages.
De tous les côtés les clairons sonnent la charge. Tout-à-coup nous reprenons le dessus et les Turcs se replient. Nous occupons la deuxième ligne jusqu'au calme et ce
n'est que le lendemain matin, 9, que nous cédons notre position à des Sénégalais.
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Le 8, nous avons enlevé quatre lignes de tranchées. Pendant l'attaque, on est fou et on ferait les plus grandes bétises si on nous les commandait. La Cº a
perdu pas mal de monde..
Le 9, journée de repos. A la nuit tombante, ma demi-section a pour mission de placer des fils d fer barbelés. Je
quitte le bivouac à 20 heures 30 et me dirige, avec mes copains, vers l'endroit désigné. Entre tous mes copains, j'estime plus mon ami parisien (blessé 2 fois sur le front français et loin d'être
trouillard). C'est avec lui que je fais équipe et nous voilà, tous deux, au boulot en dehors de la tranchée. Le travail dure 2 heures au moins. Après ce temps nous reprenons le chemin du bivouac
sans avoir eu un blessé.
Du 9 au 20 je travaille à la création de boyaux de communication. Ce travail se fait de nuit et malgré tout coûte pas mal de blessés à la Cº. Je perds, dans ce travail,
deux hommes de mon escouade. Le 20 Mai, je monte en ligne pour l'amélioration des tranchées. Les Turcs attaquent le 2ème RMA qui occupe la tranchée devant nous.
Les blessés abandonnent leurs postes et bientôt c'est l'affolement et les zouaves perdent pied, se ruent vers nous en blessant même un de mes copains. Aussitôt nous
prenons les armes et faisons le coup de feu pour arrêter l'ennemi. Après une heure er demie de fusillade, tout rentre dans l'ordre. Nous avons un élément en moins. Ma section a deux tués et trois
blessés. Mon sergent (Chevre) reçoit des instructions et nous nous replions en seconde ligne. Les boyaux de communication étant encombrés par les renforts et les blessés, nous sommes
obligés, pour nous replier, de courir à découvert.
La fin de la journée est employée à la construction d'abris pour officiers.
Du 21 Mai au 3 Juin, toujours travaux de nuit dans les sapes, tranchées et boyaux. Le 4 Juin, jour d'attaque: la Cº entière monte en ligne; nous avons tous une journée de
vivres de réserve, un bidon plein d'eau et la couverture en sautoir. Avant le rassemblement, je serre pour la dernière fois la main de mon pauvre ami Ripoll.
La préparation d'artillerie dure toute la matinée. Ma section n'étant pas de jour se place en deuxième ligne. La première vague d'assaut sort à midi. Ce sont des
Coloniaux. Ils ne parviennent même pas jusqu'à la tranchée adverse (le Haricot) et sont pour la plupart tués. L'artillerie reprend et la seconde vague part à une heure. Elle a le même sort que la
première. Mon capitaine arrivant en ligne commande alors à la 3ème section (note: adjudant Berland) de sauter le parapet et de dégager un boyau de communication allant à la tranchée
ennemie.
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Mes pauvres copains exécutent les ordres donnés et sont pris de suite entre deux feux. La section ne pouvant rien faire se replie en laissant des hommes sur le
terrain.
Dans l'après-midi, on lance une autre vague qui malheureusement n'a pas plus de succès. Les heures m'ont semblé
des siècles et quand le soir je regarde par dessus le parapet je vois un petit espace où les notres sont entassés les uns sur les autres et reposent de leur dernier sommeil. Le spectacle est
terrifiant et ne peut être traduit par aucune imagination. Cela montre que l'homme n'est rien sur terre. En rentrant au camp j'apprends que mon pauvre ami Ripoll a été tué en allant déboucher le
boyau turc. Cette nouvelle me peine beaucoup car c'est mon meilleur ami d'enfance que je viens de perdre.
Au jour, le 5 juin, je monte en ligne pour essayer de redescendre les restes de mon pauvre et cher copain. Je rentre en sape et après avoir dépassé plusieurs cadavres,
amis de Cº, j'aperçois mon copain couché à plat ventre en avant du parapet. Il est déjà méconnaissable et aller le chercher, c'est jouer gros jeu car les balles et les grenades sifflent à la
moindre poignée de terre que l'on jette. Je me vois à mon grand regret obligé d'abandonner, là, mon pauvre ami auquel j'aurais voulu donner un sépulcre. Je réussis à prendre son képi que je
rapporte au camp et que je garde avec moi.
Du 5 au 20 juin, travail de sape et construction d'abris pour postes de commandement en première ligne. Il faut être prudent pour ne pas se faire amocher. Le 21 juin,
rassemblement de la Cº à une heure du matin et départ pour les lignes, l'attaque devant avoir lieu dans la matinée.
Sitôt le jour, l'artillerie commance sa tâche. Mon escouade doit, de suite après le départ de la première vague, travailler à relier la première ligne en levée à notre
point de départ. Pagaille dans le commandement du travail, les ordres n'étant pas bien compris. Mon caporal, Julot et moi ouvrons un chantier en avant de la sape, dans un petit trou de marmite.
La Cº ayant un très faible effectif on prend des hommes de corvée dans les troupes en ligne (note; 175ème régiment d'infanterie). Nos troupes s'emparent de la première ligne turque
malgré le bombardement et la résistance acharnée de l'ennemi qui se replie très lentement. Travaillant à découvert nous recevons des rafales d'obus qui nous obligent à nous réfugier dans le bout
de la sape où on a flanqué une mitrailleuse.